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    Rencontre avec Sam Lake, le créateur de Max Payne
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    De passage à Paris en février dernier pour une Master Class, nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Sam Lake, créateur et scénariste d'un jeu et d'un personnage entré dans l'Histoire vidéoludique : Max Payne. Rencontre.

    Pour les plus néophytes d'entre vous, ce visage ne vous dira sans doute rien. En revanche, pour ceux qui ont été biberonné avec la cultissime licence vidéoludique Max Payne en 2001, ce visage rappelle forcément de vieux et bons souvenirs : c'est celui de Sam Lake. Pilier du studio finlandais Remedy Entertainment, c'est lui qui avait prêté ses traits au premier volet de la saga Max Payne.

    Véritable icone de l’industrie du jeu vidéo depuis plus de 20 ans, Sam Lake est aussi connu pour son travail d'écriture sur Alan Wake, sorti en 2010. Plus récemment, il est le directeur créatif d'un titre très attendu par les fans, et prévu le 5 avril prochain : Quantum Break.

    De passage à Paris début février pour une Master Class, qui marquait en outre sa première venue en France, nous en avons profité pour le rencontrer et revenir avec un grand plaisir sur les origines d'une saga iconique, qui célèbre d'ailleurs ses 15 ans cette année.

    AlloCiné : Max Payne est sorti il y a 15 ans, et fut incontestablement une date dans l’Histoire du jeu vidéo. Comment expliquez-vous son statut de jeu culte et que son personnage soit devenu au fil des années aussi iconique ?

    Sam Lake : A l’époque, ce genre de considération était évidemment très loin de nous ! Quand le jeu a été un succès, nous étions alors qu’une bande de jeunes amis, et honnêtement ca nous a pris du temps avant d’assimiler ce succès. Je pense que ca peut s’expliquer par la présence de certains éléments présents dans les jeux Remedy, même aujourd’hui. On n’avait pas beaucoup d’expérience, on essayait de faire avant tout un jeu auquel nous avions envie de jouer. Max est un personnage ayant une forte personnalité, des motivations puissantes qui le poussent à aller de l’avant. Il y a aussi le fait d’avoir une vraie histoire, même dans un jeu d’action. C’était quelque chose de très peu fréquent à l’époque.

    Lorsque j’écrivais l’histoire de Max Payne, j’avais toujours en tête le souci de me demander comment j’allais créer une histoire dans un jeu à l’action frénétique, comment rendre audible l’histoire au milieu de toutes ces séquences de gunfight qui occupent le plus clair du temps du personnage. Ca m’a donné l’envie de tout pousser à l’extrême : la situation personnelle du héros est totalement sans espoir. A la limite, chaque mot audible et / ou visible, parfois écrit en gros plan à l’écran, devait attirer l’attention du joueur. Max est consumé par la rage et le désespoir ; cela devait se voir et s’entendre.

    La manière dont on racontait l’histoire était aussi novatrice, avec l’aide de cut-scenes façon Graphic Novel. A l’époque, on ne maîtrisait pas encore très bien les cut Scenes vidéo, et de ce point de vue, on trouvait qu’on pouvait aller plus loin en adoptant ce style visuel et narratif graphic novel pour les remplacer. On trouvait que ca donnait nettement plus de personnalité et de crédibilité à Max Payne et son univers.

    Je voulais aussi donner au jeu cette approche Film noir. Ca, ca été le job de notre Lead Designer et Project Leader de l’époque, Petri Järvilehto, qui voulait en plus un jeu lorgnant vers les films d’action HK de John Woo. Le plus drôle dans tout ça, c’est que dans les films de John Woo, il y a un écho évident au genre du Film noir. Du coup, faire cohabiter Max Payne avec ce type d’univers collait parfaitement. Un de mes objectifs les plus importants, et c’est encore le cas avec Quantum Break, est de m’assurer que tous les éléments qui composent et nourrissent le jeu, comme les influences, s’assemblent parfaitement afin de fournir une puissante expérience de jeu.

    AlloCiné : Dans le premier jeu Max Payne, c’est la voix de James McCaffrey qu’on entend. Pourtant, c’est surtout votre visage qu’on retient ! Pourquoi un tel choix ?

    Sam Lake : En fait, à part à l’époque des jeux en Full Motion Video, les acteurs étaient peu sollicités dans les jeux vidéo. Ce n’était pas quelque chose de naturel, on ne se posait pas trop la question. Au fur et à mesure du développement de Max Payne, les choses ont pas mal changées. Je suis un très grand fan de romans graphiques ; et j’avais suggéré d’utiliser des panneaux dessinés comme des Graphic Novels pour le storytelling du jeu. Ajoutez à cela le fait que l’un de mes hobby, c’est de jouer aux jeux de rôles [de plateaux]. On a même fait avec des amis des photos en prenant la pose de nos personnages, juste pour s’amuser. J’ai amené quelques photos au bureau pour leur montrer, et leur dire qu’on devrait vraiment adopter ou intégrer une dimension Graphic Novel dans le récit, et qu’on pouvait utiliser les photos comme base de travail. Ils ont trouvé que ce n’était pas une mauvaise idée, et de me dire : "maintenant que tu as posé comme ça, tu pourrais peut être essayer cette pose là, ou encore ça ? ect". C’est comme ça que j’ai fini par prêter mes traits à Max Payne !

    Par ailleurs, au début du stade de développement du jeu et du personnage, tout était encore dessiné, les panneaux Graphic Novel étaient peints à la main et servaient de références. La technologie a évolué, on a commencé à utiliser les photographies pour travailler les textures du jeu. Et là aussi, je pouvais être reconnu. Au milieu de la production, quelqu’un a quand même émis l’idée qu’on devrait peut être engager des acteurs professionnels, mais en vérité, on était déjà trop avancé dans le développement du jeu pour y avoir recours. Ca été le cas sur Max Payne 2, afin de donner un côté encore plus réaliste, mais pas sur le premier volet. Et puis financièrement, on pouvait difficilement se le permettre !

    Ci-dessous, la bande-annonce de "Max Payne 2". Un opus encore plus sombre que le précédent volet...

    AlloCiné : Parlons un peu de « Alan Wake », qui offrait notamment un bel hommage à Stephen King, en particulier son roman « La Part des ténèbres », mais aussi « Shining », la série Twin Peaks, le formidable film de John Carpenter « L’antre de la folie », et bien d’autres encore… Aviez-vous toutes ces références en tête lorsque vous écriviez l’histoire d’Alan Wake ?

    Sam Lake : Pour Alan Wake, je voulais vraiment créer un personnage qui ne soit pas dans la veine d’un Action Héros ; d’où l’idée de faire de lui un écrivain. A cela se greffait l’envie de faire un thriller surnaturel, avec des éléments appartenant au genre horrifique. Stephen King était évidemment le mètre-étalon, une référence incontournable et absolue. Il expose très souvent son métier d’écrivain dans ses sombres histoires. Donc oui, c’était une référence naturelle. Je suis aussi un très grand fan de Twin Peaks, j’ai d’ailleurs hâte de voir ce que vont donner les nouveaux épisodes de David Lynch. Twin Peaks qui nous a donné l’idée de situer l’histoire d’Alan Wake dans la petite bourgade du nom de Cauldron Lake, coincée entre un fleuve et la montagne. Tout comme dans Twin Peaks, la forêt est un lieu habité par le Mal. On trouvait aussi que cet environnement fonctionnait formidablement bien par contraste avec celui de Max Payne ; proposer une petite ville comme point de départ, au lieu de plonger le joueur dans une grande ville comme New York. Ca renforcait aussi le côté claustrophobique qu’on recherchait pour Alan Wake.

    Ci-dessous, la bande-annonce du jeu...

    AlloCiné : Dans sa structure narrative, « Alan Wake » était aussi calqué sur le modèle des séries TV, avec ses épisodes, ses Cliffhangers, un récapitulatif des événements précédents au début de chaque épisode… Pourquoi le choix de ce format, et pensez-vous que ce format épisodique est adapté pour des jeux à longue durée ?

    Sam Lake : Absolument, je pense que c’est l’idéal. Sur les deux jeux Max Payne, on les avait structurés comme des films. A l’époque de la sortie de Max Payne 2 coïncidait à peu près l’arrivée des gros coffrets DVD des séries en version intégrale. J’en ai énormément regardé, et j’ai trouvé que c’était presque la meilleure manière qui soit de profiter d’une série TV plutôt que de suivre directement l’épisode hebdomadaire à la TV. Un jeu, dans l’expérience qu’il procure, est bien plus long qu’un film, et je trouvais justement que la structure narrative d’une série TV collait finalement bien plus à la structure narrative d’un jeu vidéo. C’est un modèle qu’on a pu tester dans Alan Wake, et vraiment mis en pratique dans notre prochain jeu, Quantum Break.

    Ci-dessous, la bande-annonce de Quantum Break...

    Propos recueillis par Olivier Pallaruelo

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